Ils y étaient … témoignages de sapeurs-pompiers mobilisés sur le feu du Parlement de Bretagne dans la nuit du 4 au 5 février 1994

Près de 150 sapeurs-pompiers se sont mobilisés pour parvenir à éteindre cet incendie d’une violence inouïe qui a ravagé l’édifice symbole de la ville de Rennes. Certains ont accepté de nous faire partager leurs souvenirs de cet événement historique…

 

LIEUTENANT HORS CLASSE JÉRÔME BISSÉRÉ (CIS RENNES LE BLOSNE), DE GARDE AU CIS RENNES SAINT-GEORGES CE SOIR-LÀ

« Une personne est venue nous alerter au CIS de Rennes Saint-Georges. Nous avons traversé la rue Saint-Georges à pied. J’ apercevais une lueur rouge au loin qui me laissait penser que le feu était important. Cela s’est confirmé lorsque je suis arrivé devant le Parlement de Bretagne et que j’ai vu l’ampleur du sinistre. Nous avons été engagé dans les 10 minutes qui ont suivi le déclenchement des premiers intervenants. 

L’incendie s’était déjà bien développé. Nous avons réalisé une attaque massive pour éviter que l’incendie ne se propage aux immeubles adjacents. Cela a été une longue nuit car nous sommes restés près de 8 heures sur l’intervention avant l’arrivée de la relève le lendemain matin. Nous avons essayé de faire ce que l’on pouvait face à l’immensité de cet incendie, et pour préserver les œuvres.

J’ai été très impressionné par ce silence qui s’était installé malgré la foule qui s’était réunie et restait spectatrice de ce désastre qui se produisait sous leurs yeux. C’était un moment étonnant de sidération générale. C’est une intervention mémorable de ma carrière et je garde en mémoire l’action collective que nous avons réalisée avec les collègues ce soir-là. Cela reste une expérience unique dont je garde des souvenirs très précis malgré les années qui passent : de la fatigue ressentie durant cette nuit de lutte, mais également de l’accident qui a touché notre collègue gravement brûlé ce soir-là ».

ADJUDANT-CHEF BRUNO COLLET (CIS RENNES CENTRE),
AFFECTÉ AU CIS RENNES SAINT-GEORGES A L’ÉPOQUE

« La journée avait été éprouvante car nous étions intervenus à plusieurs reprises durant pour faire face à la mobilisation très virulente des marins-pêcheurs. Nous avions réalisé de nombreux feux de poubelles, de bus, de magasins… J’étais rentré chez mes parents lorsque mon bip a sonné vers une heure du matin. Il fallait des bras pour combattre l’incendie. J’ai rejoint la caserne et nous nous sommes rendus à pied par la rue Saint-Georges. Je me souviens de cette chaleur intense ressentie en voyant le Parlement de Bretagne embrasé par les flammes. 

Cela faisait partie de mes premières interventions : je me souviens parfaitement de ces sensations : la chaleur, le rayonnement, le crépitement du feu et le stress… Tout était nouveau mais j’ai vite été jeté dans le bain !

Nous avons établi une grosse lance pour participer à l’attaque par l’intérieur, nous avons effectué des reconnaissances dans plusieurs pièces pour tenter de sauver les œuvres qui pouvaient l’être et sommes parvenus à préserver certains tableaux. Rapidement, le réseau d’eau a été saturé. Je me souviens encore de tous les tuyaux qu’il a fallu établir pour aller chercher l’eau dans la Vilaine. Près de 150 sapeurs-pompiers étaient mobilisés sous le regard des rennais silencieux, abattus et parfois en larmes devant la scène qui se déroulait sous leurs yeux ».

RETROUVEZ LEUR TÉMOIGNAGE DANS UN PODCAST PROPOSÉ PAR OUEST-FRANCE

LIEUTENANT HORS CLASSE JEAN-PHILIPPE BOUGEARD (GROUPEMENT PREVENTION), SAPEUR-POMPIER A RENNES LE BLOSNE CETTE NUIT-LÀ

« Au bruit de la sonnerie qui a retenti dans l’appartement que j’occupais au Blosne, je savais que je partais pour un incendie. Le ticket de départ indiquait feu du Parlement. Nous avions été préparés avec l’intensité de cette journée ! Cela s’est confirmé ! En arrivant rue de l’Alma, on voyait déjà le panache de fumées. Nous avons envoyé une division alimentée par l’intérieur afin de déployer une lance au premier étage. 

Le point d’attaque était la Salle des Pas Perdu. L’établissement venait d’être réalisé quand le plafond s’est effondré sur mes collègues Henri Gauthier et Jean-Yves Guesneux. Je suis rentré à nouveau dans le bâtiment pour leur venir en aide, mais un bruit de ronflement et des craquements de matériaux m’ont fait heureusement revenir en arrière. C’est à ce moment-là qu’un deuxième effondrement de charpente et de plafond s’est produit. J’étais très inquiet pour mon collègue resté à l’intérieur. Jean-Yves Guesneux est parvenu à sortir et a été pris en charge par les médecins sur place. J’ai appris quelques minutes après qu’Henri Gauthier avait été sorti par la cour intérieure grâce à l’échelle à coulisse. Malgré cela, il fallait repartir. Nous avions beau être nombreux, le développement du feu était plus rapide que nos actions. On se sentait très petit face à l’ampleur d’un tel incendie. Un jet de lance paraissait si minuscule…

On a malgré tout réussi à éviter la propagation aux immeubles voisins. Ce soir-là, alors que nous étions partis à 8 au fourgon, nous sommes repartis à 6, laissant deux de nos collègues blessés sur l’intervention. Une drôle de sensation… ».

LIEUTENANTS MICHEL POINT, CHEF DE SALLE DU CTA,    ET GASTON SOLER, CHEF DE SALLE DU CODIS CE SOIR-LÀ (EN RETRAITE)

« Depuis le matin, nous étions sur le qui-vive. On avait failli évacuer le CTA situé à l’époque dans l’enceinte du CIS Rennes Saint-Georges, en plein coeur de la manifestation des marins-pêcheurs. Il avait été envahi par les gaz lacrymogènes. Vers 23h30, la tenson était retombée, mais une heure plus tard, un appel est tombé pour annoncer le feu du Parlement de Bretagne. Une situation incroyable … Nous avons déclenché le départ type : deux groupes incendie.

Nous avons déclenché tous les engins incendie du District Urbain de l’Agglomération Rennaise et prévenu le CODIS qui a complété les moyens engagés par des renforts venus de tout le département ! Tous les engins pompes, échelles et BEA étaient sollicités, même les plus éloignés comme le BEA de Saint-Malo ! Pour assurer la re-couverture opérationnelle, 3 départements voisins ont mis à notre disposition des moyens : trois EPA et un FPT ont été acheminés par le Maine-et-Loire, le Morbihan et la Loire-Atlantique, et ont été positionnés à Vitré, Rennes Beauregard, Redon, Rennes Saint-Georges, et Rennes Le Blosne. Dans les immeubles rue Salomon-de-Brosse, des personnes en situation de détresse nous appelaient. Elles avaient peur tellement le rayonnement du feu était fort. Nous avons dû envoyer des personnels pour les évacuer.”

COLONEL HERVÉ RIVAL, CHARGÉ DE LA COORDINATION AU POSTE DE COMMANDEMENT (EN RETRAITE)

“La propagation du feu a été fulgurante. En une heure, nous avons vu le Parlement de Bretagne s’enflammer intégralement. Des escarbilles enflammées, poussées par le vent, retombaient sur les toitures des immeubles voisins.

Les flammes léchaient la façade des immeubles adjacents et le rayonnement du feu était si fort qu’il brûlait à des centaines de mètres. Un sapeur-pompier s’est d’ailleurs retrouvé brûlé au 3ème degré à distance alors qu’il était positionné en haut d’une échelle située en façade…

Apeurés, des habitants du quartier appelaient le 18. Par précaution, nous avons procédé à l’évacuation des logements adjacents, rue Hoche et Salomon-de-la-Brosse. Sept moyens aériens venus de l’ensemble du département ont été déployer pour lutter contre le feu, refroidir les immeubles et éviter la propagation des flammes sur le secteur Est.

Malgré les moyens déployés, après avoir percé la toiture, le développement du feu a été foudroyant. Il a fallu une quinzaine de minutes pour que la toiture s’embrase intégralement. La scène qui se déroulait devant nous était d’une violence inouïe. Les chevrons tombaient à terre et les allégories fondaient sous nos yeux. Vers 1h30, la totalité du Parlement était en feu. Nous avons mis en place un important dispositif de lutte pour venir à bout de l’incendie. Entre 400 et 450m3 de débit d’eau par heure ont été assurés ! C’est une valeur énorme mais qui était juste suffisante tellement le feu était puissant ! Cela a été une nuit de lutte intense. Vers 4h45, nous étions maîtres du feu !”