Le médecin-chef Jean-Louis Salel prend sa retraite

Originaire du Sud Méditerranéen, Jean-Louis Salel exerce en qualité de médecin-chef au sein du SDIS d’Ille-et-Vilaine depuis 19 années. A compter du 31 décembre prochain, il fera valoir ses droits à la retraite. Le docteur Alain Cornillon lui succèdera à la Direction Santé. Retour sur son parcours de sapeur-pompier et de médecin tout à la fois.

 

VOUS AVEZ EXERCÉ DURANT 19 ANNÉES EN TANT QUE MÉDECIN-CHEF EN ILLE-ET-VILAINE. OÙ VOUS ETES -VOUS FORGÉ VOTRE EXPÉRIENCE ?

Après avoir réussi le concours sur titre de capitaine SPP, j’ai commencé ma carrière au SDIS du Vaucluse en 1990 au centre de secours principal d’Avignon : un centre disposant de 180 professionnels avec un effectif de 30 sapeurs-pompiers à la garde. A l’époque, la régulation médicale ne s’exerçait pas sur les appels 18, les départs en intervention étaient continus, environ 30000 départs par an sur la seule agglomération Avignonnaise. C’est là que j’ai acquis une solide expérience professionnelle, d’abord comme officier sapeur-pompier (képi noir) puis comme médecin sapeur-pompier (képi rouge).

Avec un collègue partageant le même statut hybride d’officier et de médecin, j’ai vécu un régime d’alternance garde/repos pendant plusieurs années. En plus de la médicalisation des 7 VSAV du centre, nous étions systématiquement engagés sur tous les départs importants diffusés à la sono en termes de générale incendie et générale accident.

avec l’équipe GRIMP 84 et le colonel Jean-Yves Delannoy (ancien DDSIS du SDIS 84)
dans les Monts de Vaucluse en 1999

Plus personnellement, j’étais médecin IMP2 au sein de l’équipe GRIMP et médecin SPP intégré à l’équipe du spéléo-secours du Vaucluse. Je garde d’incroyables souvenirs des entrainements effectués dans les sites naturels au pied du Mont Ventoux et dans les abimes prodigieux des Monts du Vaucluse. Je menais une vie trépidante chargée d’adrénaline.

Par nécessité absolue de service, un logement en caserne m’avait été octroyé pour accueillir ma petite famille. Je suis heureux d’avoir pu vivre une activité opérationnelle aussi intense mais j’ai parfois un voile de tristesse quand je pense aux répercussions sévères sur la vie de famille. Je remercie infiniment mon épouse et mes 4 enfants de ne pas m’en tenir rigueur aujourd’hui.

Chose extraordinaire, tout dernièrement, mes deux ainées m’ont avouée que leur vie en caserne faisait partie des meilleurs souvenirs d’enfance ; il faut dire qu’elles étaient un peu les mascottes du centre car les vacances se passaient sur le terrain de sport et à la piscine de l’amicale. Quoi qu’il en soit, mon engagement professionnel a attiré l’œil du directeur départemental de l’époque, le colonel Jean-Yves Delannoy. Ce dernier m’a permis d’accéder au poste de médecin-chef adjoint en 2003. Je le remercie infiniment pour son sens de la justice et pour sa bienveillance à mon égard.

 

EN REGARDANT VOTRE PARCOURS, QU’EST-CE QUI VOUS REND LE PLUS FIER ?

Lorsque j’ai été recruté par Monsieur Christian Le Maout et le colonel Yves Daniel en septembre 2005, j’ai reçu une feuille de route qui me demandait d’unifier l’équipe des officiers de santé, d’humaniser les pratiques en termes de médecine d’aptitude, de mettre en place une organisation opérationnelle robuste en termes de VLS.

Pour répondre à la question, je dirai que mon point de fierté principal tient à l’équipe que j’ai patiemment su constituer, celle de la sous-direction-santé telle qu’elle est aujourd’hui : une équipe formidable composée de belles personnes qui sont aussi compétentes que bienveillantes. Il y a aussi les 250 volontaires du SSSM : pharmaciens, infirmiers, médecins, vétérinaires, psychologues, kinés, diététiciennes qui sont la force d’action de la sous-direction-santé. Ils représentent le plus grand centre de volontaires du SDIS 35 et assurent des missions de soutien, de secours, de soins, sur l’ensemble du territoire départemental. Le VLS de Rennes-Beauregard est le véhicule opérationnel qui réalise le plus grand nombre d’intervention chaque année !

Revue des troupes du SSSM avec le contrôleur général Eric Candas en 2022

 

J’ai œuvré avec ardeur pour une médecine professionnelle et préventive qui érige au centre de son action le postulat du respect et de la confiance avec les sapeurs-pompiers, car il n’est pas possible d’exercer la médecine autrement. J’ai toujours prôné auprès des médecins et des infirmiers du SSSM une médecine bienveillante qui n’exclut pas pour autant le contrôle sécuritaire. J’ai imposé le terme de bilan de santé à visée opérationnelle (BSVO) plutôt que celui de visite médicale d’aptitude pour que les personnels professionnels et volontaires comprennent qu’une bonne condition physique et une bonne santé ça ne s’instaure pas sans effort. Pour être en bonne santé, il ne suffit pas de ne pas être malade, il faut aussi avoir une condition physique au-dessus de celle du citoyen lambda.

Par ailleurs, j’ai toujours recherché l’hybridation entre le monde des secours d’urgence et celui des soins d’urgence. Cette hybridation est au cœur de mon engagement et elle me permet de revendiquer avec la même conviction mon statut de médecin et celui de sapeur-pompier. Pour le département d’Ille-et-Vilaine, je regrette de ne pas avoir vu se réaliser une plateforme commune 15/18/112 comme cela a été fait avec succès dans le Vaucluse.

Une autre fierté est celle de ne jamais avoir oublié mon expérience opérationnelle de terrain pour nourrir mon quotidien de médecin-chef et de membre de l’équipe de direction du SDIS. Il ne faut pas croire que la vie dans les bureaux et les salles de réunion est plus facile que celle passée sur le théâtre des opérations. La charge mentale est différente, au lieu de monter et descendre au fil des à-coups interventionnels elle est plutôt continue et sans répit. J’ai dû jongler entre les préoccupations extraordinairement variées de l’équipe de direction et celles très ciblées de la sous-direction santé et du SSSM. Un regret, celui d’avoir été trop éloigné du quotidien des sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, de ne pas savoir appeler chacun par son nom et son prénom plutôt que par son grade.

Finalement, il y a la fierté d’avoir exercé au nom de la solidarité nationale un métier qui, très concrètement, m’a permis de sauver ou de protéger des vies, par des actions directes et personnelles ou par des actions indirectes et collectives. Les accidents et drames que j’ai pu côtoyer en intervention ont fortement influencé ma manière de voir et de penser le monde.

 

SI VOUS DEVIEZ CITER QUELQUES PROJETS MARQUANTS POUR LE SSSM QUE VOUS GARDEZ EN MÉMOIRE ?

En premier lieu, je pense au mouvement social de 2008 qui a profondément marqué le devenir de l’établissement public et de ses personnels. C’est difficile à expliquer à posteriori, mais sur le moment j’ai ressenti l’immense désarroi qui touchait toutes les strates hiérarchiques et politiques du SDIS. Les revendications n’entraient pas dans les considérations habituelles du dialogue social. Il était question de casernes vétustes mais aussi d’éthique et de déontologie.

Curieusement, juste avant à mon arrivée en Ille-et-Vilaine, j’avais remarqué lors d’un stage à l’institut national des études territoriales (INET) que le projet stratégique du département ne faisait apparaitre le SDIS que comme une ligne financière à la dernière ligne de la dernière page. A l’aune des sciences sociales étudiées à l’INET, il m’a semblé que le SDIS méritait une meilleure considération car il pouvait devenir un instrument de politique publique et pas seulement une source de conflit social.

Avec la compréhension décisive de Monsieur Jean-Louis Tourenne, qui était alors président du Département, la charte des valeurs de l’établissement et la notion de projet stratégique du SDIS ont vu le jour avec un projet immobilier pluriannuel et une plateforme technique commune sur la zone du Hil. Cet ensemble de projets était indispensable pour sortir de la crise sociale. Malgré quelques reproches émis à mon encontre, je n’étais pas hors sujet car le bien être des personnels du SDIS doit faire partie de la carte mentale du médecin-chef.

avec Monsieur Jean-Louis Tourenne, président du Département,
au congrès national SSSM de Saint Malo en 2014

Sur un plan plus médical, nous avons été un des premiers SDIS à réaliser de la télétransmission d’électrocardiogramme avec les infirmiers du SSSM, et à équiper tous les VSAV en défibrillateurs semi automatiques. Je ne peux pas manquer d’évoquer la période très particulière de la pandémie du COVID-19. Pendant plusieurs mois, les membres du SSSM ont réalisé une campagne de dépistage viral dans les centres d’accueil et d’hébergement des personnes en précarité.  Ensuite, nous sommes allés à la rencontre des personnes âgées dans les communes les plus retirées du département avec un camion dédié aux consultation médicales pour réaliser des dizaines de vaccination.

Lorsque les doses de vaccins sont arrivées en grand nombre, pendant 10 mois, les personnels du SSSM, du SDIS et du département, ont réussi l’exploit de vacciner entre 1000 et 3200 personnes par jour au stade Robert Poirier en plein cœur du quartier Villejean. Peu de vaccinodromes en France ont été en mesure d’atteindre cette capacité d’action sur une telle durée. Cela a été une aventure collective extraordinaire, qui a permis de mobiliser et de recruter des catégories de personnels très différentes mais avec un principe d’indemnisation économe et équitable.

Le SDIS est capable de mobiliser : logistique, informatique, commandement, santé, pharmacie… Peu de structures en sont capables ! Le SDIS, c’est un formidable couteau suisse au service du département !

Tout récemment, sous contrôle du SSSM, une vraie révolution est arrivée, puisque les chefs d’agrès VSAV sont réglementairement autorisés à réaliser 3 actes de soins d’urgence. Cela nécessite un travail supplémentaire considérable pour les personnels du SSSM, en termes de formation initiale et continue, en termes de préparation et de distribution des kits de soins.

 

QU’EST-CE QUI VOUS ATTEND POUR LA SUITE ?

Je pense prendre un engagement de médecin volontaire pour mener quelques études médicales sur le niveau de condition physique des sapeurs-pompiers, notamment lors des exercices au caisson thermique ou au module d’entraînement au port de l’appareil respiratoire isolant. Il existe peu de publications dans ce domaine de la médecine. Cela me permettra de ne pas perdre complétement de vue mes anciens collègues qui peuvent devenir à présent des amis.

auprès des habitants de Léogâne après le séisme d’Haïti de 2010

J’entends également profiter du temps libre qui s’offre à moi, pour consacrer du temps à ma famille. Je voudrai m’essayer au dessin et l’aquarelle, j’ai envie de réaliser un roman graphique sur mes origines familiales. Je projette également quelques voyages de rêve. J’ai eu l’opportunité de partir sur l’ile d’Haïti avec l’association Pompiers sans frontière après le séisme de 2010.

J’espère pouvoir continuer à m’ouvrir aux autres et à d’autres mondes.  Il est confondant de voir dans les pays les moins riches le contraste entre la pauvreté matérielle et le sourire des habitants.